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La Fabrique du son | Turquie | Collecter la parole dans le quartier de Sulukule à Istanbul

En juin 2018, Charlotte Mongibeaux et Tristan Goldbronn remportent le deuxième prix du concours radio «Paroles partagées». Ils présentent au jury une création juste et touchante qui donne la parole à un groupe de rappeurs issus des minorités kurdes et roms en Turquie. Une occasion de plonger au coeur du quartier de Sulukule et de poser la question de la collecte de la parole, dans un pays qui reste la plus grande prison des journalistes au monde.


Le groupe Tahribad-i Isyan à Sulukule (c) Tristan Goldbronn

En septembre 2017, Charlotte Mongibeaux et Tristan Goldbronn, journalistes à Radio Parleur, s'envolent pour Istanbul. En partant pour la métropole, l'objectif est double : collecter des sons témoignant de l’évolution culturelle turque et suivre le procès de journalistes accusés par le gouvernement d'Erdogan d’être en lien avec des groupes terroristes.

Ce voyage, ils en parlent depuis neuf mois et ils se sont bien préparés. Des fixeurs, amis d’amis, les attendent sur place ; leur rôle : les escorter et trouver des rendez-vous pour des interviews. Mais quelques jours avant leur arrivée, ils se rétractent.

Une question se pose alors : comment trouver des personnes susceptibles de répondre à leurs questions ? C'est sans compter leur rencontre avec le trio de rappeurs Asil Koç, Veysi Ozdemir et Burat Kaçar, qui forment depuis le lycée le groupe Tahribad-i Isyan.

Les trois artistes en question sont connus au-delà des frontières de la Turquie pour leur combat contre la destruction de leur quartier. Ils ont notamment joué en clôture du Festival de cinéma en 2016 à... Douarnenez 1.

Ils sont d'autant plus intéressants qu'ils sont très investis à Sulukule auprès des jeunes par le biais d'ateliers d'écriture et sont, par l'expression que leur permet le rap, des passeurs de paroles au sein d'une communauté qui depuis 2006 balaie chaque jour les ruines du quartier.



Au coeur du plus vieux quartier d’implantation rom de l'histoire


Sulukule est un quartier de la rive européenne d'Istanbul, sur les bords de la mer de Marmara, tout près de l'embouchure du détroit du Bosphore.

En 1054, on enregistre les premières arrivées des communautés rom dans le quartier de Sulukule, qui devient leur premier lieu d'implantation au monde 2. C'est un lieu de vie festif qui regorge de tavernes dans lesquelles on diffuse des musiques traditionnelles roms et tziganes. Cela n'empêche cependant pas le pouvoir central d'ordonner leur fermeture dans les années 1990.


Diaporama | Dans les rues de Sulukule (c) Tristan Goldbronn


Et les habitants du quartier ne sont pas au bout de leurs surprises. En 2006 le gouvernement entreprend un projet de "rénovation urbaine" car les habitations sont jugées vétustes. C'est le début de la destruction des immeubles, des expulsions et d'une restructuration en profondeur du tissu urbain 3. Les travaux deviennent le quotidien des habitants comme l'explique Charlotte :


"Dans ces quartiers, il y a un très fort taux de criminalité. Ils sont paupérisés et détruits sans qu'il n'y ait de réaction du reste de la population stambouliote [...] C'est un gros chantier [...] Pour moi, c'est devenu le son d'Istanbul. C'est un espèce de bruit sourd de gros camions, de ciment, de soudage [...] Qu'on soit à Taksim, à Tarlabaşι, qu'on soit sur les rives du Bosphore, c'est pareil : [les pouvoirs publics] ont détruits plein de choses, en quelques mois. Et tout est en semi destruction-reconstruction."

A la place de ces vieux immeubles, on reconstruit des résidences neuves et on érige des murs. La communauté rom n'a plus les moyens de se loger. C'est le phénomène de gentrification qui induit le remplacent d'une population par une autre, en repoussant les plus pauvres - et surtout les minorités - aux confins des villes.

Ce processus est le reflet de la situation d'autres quartiers à Istanbul, comme le quartier orthodoxe de Fener, l'ancien quartier juif Balat ou encore le quartier kurde de Tarlabaşι.

Charlotte raconte :


"Ils ont érigé des immeubles modernes sécurisés, des espèces de gated communities avec des grandes barrières et des fils barbelés [...] d'un côte de la rue principale des murs avec des fils barbelés et des entrées à codes et des cartes pour rentrer dans ces complexes d'immeubles et de